L’analyse des conséquences sur les « petits musées » repose sur les 41% de réponses reçues jusqu’à ce jour au questionnaire que Patrimoine et Environnement BFC a envoyé le 5 mai dernier, réponses réparties sur l’ensemble du territoire de la région.
Pour en savoir plus sur le questionnaire adressé aux structures muséales : Conséquences sur les petits musées de Bourgogne-Franche-Comté de la crise sanitaire due au COVID19, enquête
Pour en savoir plus sur les résultats chiffrés de l’enquête : Conséquences sur les petits musées de Bourgogne-Franche-Comté de la crise sanitaire due au COVID19, résultats de l’enquête
Il a donc précédé de quelques jours la demande de la DRAC sur la situation des musées en regard de leur possibilité et conditions d’ouverture. Etant d’objectifs différents et complémentaires, il n’y a, semble-t-il, pas eu d’interférence entre les deux enquêtes.
Ce questionnaire s’est attaché dans un premier temps à obtenir une photographie « administrative » du répondant puis de son fonctionnement, et enfin des éléments relatifs à son équilibre financier en cette période de crise.
Il a ensuite cherché à préciser les conséquences de la situation actuelle sur leurs activités et sur leurs attentes.
Sur leurs caractéristiques :
La moitié fonctionne sous forme d’association, même lorsqu’elles sont adossées à une commune qui peut posséder le fonds. Toutefois, un peu plus d’un quart sont des musées gérés directement par une collectivité(commune, intercommunalité, département) sans interface associative. 15 % sont entièrement privés.
Un tiers de ces musées sont ouverts toute l’année ; presque la moitié d’entre eux sont fermés en hiver, souvent de novembre à mars, fonctionnement principalement corrélé avec leur situation géographique en petit bourg ou dans des communes rurales. Quelques-uns, très petits, ont une ouverture à la demande.
Il est intéressant de souligner que l’immense majorité proposent des dispositifs tournés vers le visiteur. La médiation humaine y tient toujours une place primordiale avec 85% de musées proposant des visites guidées et les deux tiers qui ont des activités incluant des scolaires – ce qui, par contrecoup, pose problème pour la distanciation physique actuellement. Près du tiers de ces musées dispose d’audioguides, ce qui n’était pas si courant encore récemment, et 43% proposent de la documentation en prolongement de leur apport direct lors de la visite. Ils expriment une véritable volonté d’être plus qu’un lieu de compilation et de conservation, en souhaitant donner du sens à ce qui est proposé et en incitant le visiteur à participer à l’ interprétation du contenu.
Pour ces musées, « montrer et faire connaître » n’est pas suffisant, il faut aussi faire entrer le visiteur dans le monde qui lui est présenté.
L’accueil physique n’est pas non plus négligé puisque la plupart des sites possèdent une boutique, disposent d’un distributeur ou d’une cafétéria et mettent à disposition un parc ou un jardin. C’est un aspect moins connu qu’ils ne valorisent sans doute pas suffisamment.
Il est à noter que 47 % des sites bénéficiaient d’une fréquentation en hausse au cours des dernières années et que 32% avaient une fréquentation stable. Ces deux indices sont révélateurs de l’intérêt que la population attache à ces « petits musées ». Elle leur reconnaît un apport de connaissances pour eux – individuellement et en famille- qui se diffuse grâce à la communication de ces musées, mais aussi par le bouche-à-oreille. Une enquête visiteurs pourrait certainement en trouver une confirmation parmi les 77 % de visiteurs qui viennent en individuels ou font partie de groupes et qui, français, témoignent ainsi de la proximité plus ou moins forte avec la situation géographique du musée. Les liaisons avec le monde scolaire sont importantes et représentent 18% des visiteurs. Associatifs ou appartenant à une collectivité, ils sont un outil de développement des parcours d’Education Artistique et Culturelle.
Il est à remarquer que 86 % des visiteurs sont français. Les étrangers viennent principalement de Belgique, d’Allemagne, à un moindre niveau des Pays-Bas et de Grande-Bretagne, mais aussi de suisses dans l’est de la région.
On peut également souligner que 46% de ces musées travaillent avec le milieu culturel environnant et sont partenaires de manifestations de proximité, ce qui est un atout, mais qui, dans le contexte actuel, représente un handicap pour leur relance. Ils ne peuvent pas forcément compter sur cet apport événementiel cette année, puisque de nombreux festivals sont annulés en vertu de la règlementation administrative ou parce que les organisateurs craignent une perte financière.
Sur leur fonctionnement :
Leurs structures sont majoritairement légères. Un quart n’a pas la possibilité de faire appel à des salariés. La plupart de leurs activités reposent ainsi sur le bénévolat et un peu sur les saisonniers (1.1 en moyenne). Si l’on exclut ceux qui adossés à une collectivité, emploient plus de 10 ETP, la moyenne ressort à 2.2 ETP pour les sites restants. On comprend dès lors les difficultés qui peuvent être attachées à leur gestion en cas de cessation provisoire d’activités du à une situation particulière comme celle que nous vivons actuellement.
Ce faible nombre de salariés, que l’on pourrait prendre comme un avantage car il y a peu à compenser en cas de départ, est en fait un réel inconvénient, car les bénévoles ne sont bien souvent pas en mesure de faire face durablement à la charge de supplémentaire de travail pour relancer l’activité. En outre, plus encore dans une petite structure, la perte d’un salarié est toujours une perte économique car il part avec sa compétence, ses connaissances, son expérience qu’il est difficile de retrouver rapidement.
Une structure importante peut jouer sur le foisonnement, ce qui n’est pas le cas de petites entités comme ces musées, qu’ils soient associatifs, privés ou de collectivités.
Les équilibres financiers sont assurés à 31 % par les recettes sur les entrées et, par les ventes de produits et autres moyens d’autofinancement, à hauteur de 30%. Aussi, ce sont 61 % des produits du compte d’exploitation qui sont, en très grande partie, directement impactés par une fermeture prolongée du site.
Les collectivités territoriales accompagnent ces musées interrogés à hauteur de 30% en moyenne, ce qui est une reconnaissance directe de l’ intérêt public qu’ils représentent
Sur l’influence du confinement :
Les situations sont variables et dépendent des ouvertures habituellement pratiquées. Le nombre de jours perdus escomptés jusqu’à la réouverture est d’environ 68 jours au moment de l’enquête, ce qui traduit bien un confinement appliqué à la mi-mars. Les recettes perdues s’étalent sur une plage de 2 000 à 50 000 euros avec une moyenne établie à 14 730 euros. Comme il est indiqué dans le document « Résultat de l’enquête », plus d’un tiers a eu recours au chômage partiel.
Les pertes financières sont importantes dans la grande majorité des cas mais n’ont pas toujours le même impact. Les structures dont l’équilibre repose essentiellement sur les entrées ET les ventes subissent clairement les effets du confinement. Les moins sensibles appartiennent au groupe des sites à entrée gratuite, souvent municipaux, qui n’attachent pas leur survie financière aux recettes.
Plusieurs sites s’inquiètent de leurs résultats financiers lorsqu’une grande partie de leurs recettes sont attachées à la venue de groupes scolaires qui ont bien évidemment annulé leurs demandes et dont seule une petite partie pourra être reportée sur l’automne.
Sur les réouvertures, les réponses sont très différenciées selon que le site ouvre toute l’année ou en partie seulement, partie qui peut être en dehors de la période de confinement.
Plusieurs associations ont indiqué ne pas pouvoir ouvrir par suite d’impossibilité technique, la préparation de la thématique pendant la saison 2020 devant se réaliser en mars ou avril pour une ouverture au cours du printemps. D’autres ne peuvent également ouvrir car les prestataires ayant prévu une intervention en mars et leur agenda annuel étant complet, ils ne peuvent compenser la neutralisation des mois de mars, avril et mai. Certains prestataires ont déposé le bilan. D’autres musées, en chômage partiel, n’ont plus le temps de préparation suffisant pour ouvrir prochainement. En d’autres cas, les expositions prévues ne sont plus possibles car l’artiste ou l’opérateur est maintenant indisponible ou lui-même a des difficultés notamment financières. Le résultat obtenu est toujours conditionné au maillon le plus faible.
Pour une minorité (25 %), la mise en œuvre se poursuivra avec une ouverture plus tardive, probablement en juillet, août voire septembre, sur des sujets qui auraient été présentés au début de l’été. Ces cas font partie de ceux qui n’ouvrent pas actuellement, ayant notamment considéré que l’ouverture serait non rentable.
Les difficultés rencontrées sont diverses. Des parcours de visite ont dû être réduits pour cause de salles trop petites, ne permettant pas la distanciation physique. Cependant les sites ont cherché la meilleure adaptation possible. Beaucoup ont joué la carte de l’évolution de l’offre pour 26 % d’entre eux ; 25% ont mis à profit ces deux mois pour repositionner et amplifier leur communication dans l’attente de la réouverture. Ces actions sont liées aux possibilités des responsables de faire appel aux compétences internes ou externes nécessaires et à l’estimation de leur fragilité en cette période; elles sont indépendantes de leur statut (associatif ou municipal).
Les musées ouvrant toute l’année s’attendent à une forte baisse de la fréquentation (jusqu’à 40 %) parce qu’il n’est pas possible de rattraper ces mois de confinement, mais aussi parce que le déconfinement incitera les visiteurs à découvrir des lieux plus éloignés. L’envie de s’affranchir des 100 km sera forte et l’on recherchera moins des activités de proximité. Or, ces musées drainent plutôt des visiteurs « de voisinage ».
La situation des autres musées est variable selon leur période d’ouverture.
Certains sites, sur le modèle des tiers-lieux, regroupent en un même espace des activités de sociabilité multiples (café, bibliothèque, accueil touristique) et se trouvent devant la difficulté de rouvrir ce lieu multiservices.
D’autres, en l’absence de groupes notamment scolaires qui permettait leur équilibre financier, doivent faire face à des coûts de fonctionnement supérieurs aux recettes des visiteurs individuels et ne peuvent ouvrir pour une question de rentabilité.
La situation est difficile pour 14 % des musées qui estiment que, sans évènement particulier, le risque d’une cessation définitive d’activité est sérieux. Ce serait d’autant plus dommageable que ces structures, qui ont perdu en moyenne plus 14 000 euros avec 1.5 ETP, enregistraient auparavant une hausse de leur fréquentation révélatrice de leur dynamisme et de l’intérêt de leur offre.
Sur les attentes :
A l’exception des sites qui ne sont ouverts qu’en période allant de mai à octobre voire en été seulement (12 %), tous les musées estiment qu’il y aura une perte importante de fréquentation. La perte est estimée à plus de 20 % pour ceux qui ouvrent de Pâques au 1er novembre. Aussi, l’espoir d’un relatif rétablissement de la situation réside dans un accroissement très appuyé des visiteurs français de proximité ou plus éloignés. Il faudra savoir travailler sur le faire venir.
Pour 51%, le repositionnement de l’offre mais aussi de la communication préfigurait déjà de cette orientation.
Toutefois, il n’est pas certain que les dynamismes individuels soient suffisants. La juxtaposition des travaux engagés par chaque site n’aura sans doute pas l’impact d’une action structurée d’un niveau territorial plus global.
Sur les aides : 24% des sites ne demandent aucune aide. Ils ont des salariés (3 ETP en moyenne) et certains ont des pertes pouvant aller jusqu’à 25 000 euros. Ils reçoivent entre 10 000 et 25 000 visiteurs annuellement. Ils ouvrent sur toute l’année ; l’apport des recettes dans leur structure financière est de 20 % avec 70 % d’aides communales et intercommunales. Ils estiment pouvoir sortir des difficultés actuelles par un étalement des pertes dues au confinement.
C’est aussi, bien évidemment, le cas des sites qui n’ouvrent pas habituellement durant la période neutralisée par le confinement.
Ce n’est pas le cas des sites qui ouvrent plus partiellement et pour lesquels les mois de mars à juin apportaient des ressources importantes ou de ceux qui ne peuvent ouvrir par suite des difficultés à proposer une offre attirante en conformité avec la règlementation.
D’autres sites attendent une aide externe, car avec une moyenne de 0.25 ETP, ils n’ont pas les moyens de payer un emploi à temps complet qui constituerait une ressource pour mettre en place une offre diversifiée. Les subventions reçues représentent en moyenne 12.7 % de leur budget, soit la moitié des aides communales et intercommunales perçues par l’ensemble des répondants. Sans connaître les montants absolus, c’est bien cette perception de leur fragilité qui prévaut dans l’appel qu’elles font à davantage de soutien (32% souhaitent un renforcement des aides).
Une majorité de sites (51%) confirme leur besoin d’une communication importante, pour l’information, la sensibilisation et la mobilisation des prospects. Ils ont engagé ce qui était possible de leur part mais ils perçoivent que leur action sera insuffisante. Aussi, pour une pleine efficacité, ils souhaitent avoir un relais prononcé de la part des institutions. Des organismes du tourisme et de la culture (Conseil Régional, DRAC, Comité Régional du Tourisme, Comités Départementaux du Tourisme)ont, de toute évidence, une capacité plus à même de construire, avec eux, une réponse adaptée.
En conclusion :
La réactivité et le dynamisme de ces « petits musées » sont évidents à la lumière de cette enquête. Malgré cela, beaucoup souffrent fortement de la situation actuelle qui ne va pas se résorber rapidement. Leur fragilité les entraîne à ne pas attendre une solution venant de l’extérieur, mais à la créer par eux-mêmes.
Cependant, leur engagement a ses limites. Comme dans d’autres secteur de l’économie, le possible n’est pas toujours du fait de celui qui est au cœur de l’évènement.
Les pouvoirs publics se sont engagés avec volontarisme à soutenir nombre de domaines qui constituent la colonne vertébrale de notre société. Certains des « petits musées » ont pu en bénéficier, notamment par le chômage partiel.
Sans surestimer leur poids dans l’économie en général, ces musées disséminés dans les territoires sont des points d’appui pour un développement qu’il serait dramatique de négliger.
Ils jouent, à leur niveau, un rôle de catalyseur sociétal, bénéficient d’une attention privilégiée de la part du public bien supérieure à ce que l’on pourrait estimer et sont un foyer de dynamisme qui peut faire école dans les espaces ruraux. Il n’est pas neutre de constater que pour 79 % d’entre eux, la fréquentation était en hausse ou se maintenait avant la crise.
Plus que survivre, ils souhaitent pouvoir reprendre leur développement. Pour cela, ils ont deux attentes, certes proposées par le questionnaire, mais qu’ils ont reprises sans ajout particulier. L’une concerne une aide financière et émane principalement de ceux qui en ont actuellement assez peu. La réponse ne peut venir que des institutions – Etat, Région et collectivités territoriales (le mécénat étant des plus aléatoires, surtout dans une période où la plupart des entreprises souffrent elles-mêmes des effets de la crise). La seconde aide attendue concerne la communication : faire connaître, mettre en valeur, donner au prospect l’envie de venir…
Ils ont fait ce qui était possible à leur niveau. Il convient de trouver au niveau interterritorial les décideurs qui sauront mettre en valeur cette dimension de l’économie, du tourisme, du patrimoine et de la culture en cohérence avec eux. Mais il faut se hâter ; le temps leur est compté.