Les dispositions figurant à l’article 56 de la loi ELAN, relatives, notamment aux avis des ABF dont la portée est restreinte dans certaines situations administratives – ce qui marque un incontestable recul par rapport aux textes de la loi LCAP du 7 juillet 2016 – ont fait l’objet de polémiques ainsi que de commentaires divers, émanant de différents horizons de défenseurs du patrimoine.
Dans ce concert, on a pu noter le silence assourdissant du ministère de la Culture et les réponses apportées aux parlementaires par le ministre M.Mezard, aux termes desquelles il n’y avait aucun péril en la demeure puisqu’il y avait un ambitieux programme de revitalisation des centres villes …comme si cela avait le moindre rapport juridique avec les questions posées ! On ferait alors de la réhabilitation urbaine dans les quartiers d’intérêt patrimonial et protégés sans saisir les ABF et sans recueillir leur avis ? C’est ce que des élus et professionnels ont compris au plan local et les commentaires de presse, mais aussi de certains défenseurs du patrimoine, ont pu entretenir une interprétation inexacte des textes votés.
La présente analyse concerne le 1° du III de l’art 56 de la loi Elan lequel comporte plusieurs dispositions dont l’interprétation, voire l’intelligibilité, ou l’application, posent de réels problèmes..
Un avis consultatif, c’est quoi ?
La première question concerne une modification substantielle apportée à l’art L632-2 du code du patrimoine, relatif aux autorisations et avis des ABF dans les sites patrimoniaux remarquables. En effet, le 4eme alinéa du I de cet article est ainsi rédigé :
« L’autorité compétente pour délivrer l’autorisation peut proposer un projet de décision à l’architecte des Bâtiments de France. Celui-ci émet un avis consultatif sur le projet de décision et peut proposer des modifications, le cas échéant après étude conjointe du dossier. » ;
Comment faut-il interpréter – puis appliquer- cette disposition, qui n’est coordonnée avec aucune autre disposition de ce même article? Comment ce mécanisme va-t-il se mettre concrètement en place ? A l’initiative de qui et dans quelles circonstances ?
Est-ce l’autorité compétente qui, dès l’instruction d’un dossier prépare l’avis de l’ABF, par la proposition d’un projet de décision, laissant comme seul rôle à l’ ABF de répondre par un avis, bizarrement dénommé « consultatif »?
S’il n’est pas qualifié de conforme, c’est un avis comme tous les avis et un avis consultatif est une tautologie, que l’autorité peut ne pas suivre, non de façon arbitraire ou discrétionnaire, mais en justifiant sa position par un argumentaire au regard des enjeux du dossier et sans sacrifier ceux du patrimoine …. au risque de voir sa décision annulée pour erreur manifeste d’appréciation. Au demeurant, sur le plan juridique, un avis dit « conforme » peut n’être pas justifié et être attaqué et dans les sites patrimoniaux remarquables, il peut faire l’objet de recours.
Si c’est l’autorité compétente qui instruit le dossier aux lieux et place de l’ABF en préparant son avis, donc de son propre point de vue d’autorité locale, non spécifiquement compétente en matiere de patrimoine ou d’architecture, c’est la totalité du dispositif des avis conformes qui tombe et qui n’a plus de champ d’application dans les sites patrimoniaux remarquables. L’ABF n’a plus alors qu’un rôle d’architecte conseil sur l’avis duquel on pourrait passer …
A la suite de cet avis et des décisions qui en découlent, d’autres questions se posent. Qu’en est-il, par exemple, si la décision de l’autorité compétente est contraire à l’avis « consultatif » de l’ABF et met manifestement en cause la protection du patrimoine ? Aucun mécanisme d’arbitrage n’est prévu et ce cas ne figure pas dans les recours prévus aux II et III de l’art L.632-2, et aucune coordination n’est prévue. Or les II et III de l’art L632-2 prévoient un mécanisme clair de recours contre l’avis conforme de l’ABF soit par le maire, soit par le pétitionnaire, lequel serait, de droit, supprimé puisqu’il n’y aurait plus d’avis conforme à contrôler …
Les mécanismes de recours sont-ils alors voués à disparaitre, avec leurs garanties de procédure et la clarté de l’autorisation, garantes et du respect du patrimoine et des autres enjeux ainsi que des droits des tiers ?
Il est, a tout le moins, à espérer qu’un décret éclaircisse la portée de cette disposition et organise les articulations juridiques indispensables.
Quel péril en la demeure ?
La seconde question est relative aux avis des ABF dans les situations de péril et d’insalubrité, qui font l’objet de deux dispositions dans le IV de l’art 56 de la loi Elan.
Il introduit au code du patrimoine un article L. 632-2-1 nouveau supprimant un avis conforme de l’ABF pour le remplacer par un avis dit « simple » dans plusieurs cas de figure dont nous retiendrons les 2°, puis les 3° et 4°qui seront analysés ensemble car ils s’appliquent à des situations a effets de droit identiques .
Ces dispositions méritent une analyse juridique précise de ce qui est effectivement écrit et non de lectures ou de commentaires plus polémiques que juridiques. En effet, nombre de commentaires laissent à penser que tout centre historique comprenant des immeubles insalubres ou en péril et toute opération de traitement de ces immeubles dégradés allaient échapper à l’avis dit conforme de l’ABF, qui ne serait plus que simple. Certains ont même compris qu’il n’était plus nécessaire de consulter l’ABF…
Il n’en est rien, même si la compréhension des dispositions en cause et ces commentaires ont facilité l’idée chez les responsables locaux qu’il en était ainsi …
Le 2° de l’article L632-2-1 prévoit que l’avis de l’ABF sera simple lorsqu’il s’appliquera aux « opérations mentionnées au second alinéa de l’article L. 522-1 du code de la construction et de l’habitation »
Quelle étrange disposition et quelle innovation implicite sur un avis inexistant, résulte de ce texte !
En effet, cette disposition apparait, pour différentes raisons de droit, parfaitement inapplicable, d’une part parce que son champ n’est pas défini et, d’autre part, parce que les autorisations des ABF visées auxquelles elle se réfère implicitement n’existent pas en droit…
Le champ de la disposition prévue est indéterminé …
Les opérations visées renvoient au 2eme alinéa de l’art L.522-1 du CCH, lequel précise en son 1er alinéa (issu du vote de la loi Vivien de 1970) que le financement des déficits d’opérations de démolition des « bidonvilles » est assuré totalement par l’Etat ou ses opérateurs nationaux.
Le 2eme alinéa renvoie à un décret le mode de financement des « autres opérations ». Cet article, particulièrement obscur, ne définit donc en rien les opérations visées…
Au regard de l’histoire administrative du traitement de l’habitat insalubre, on peut supposer que les « autres opérations » mentionnées au L.522-1 visent les opérations dites, depuis 1970, « de résorption de l’habitat insalubre » (RHI) lesquelles n’ont jamais été définies ni par la loi, ni par le décret mais par simples circulaires….
Les décrets relatifs à l’ANAH du 24 décembre 2009, s’appliquent au financement de différentes opérations intéressant l’habitat indigne, mais ne définissent pas davantage les opérations visées. Le régime administratif et financier actuel des opérations de RHI n’est prévu que par le règlement général de l’ANAH et ses instructions.
On voit donc mal sur le plan juridique comment des effets de droit en matière d’autorisation pourraient être attachés à des opérations non définies par la loi – ni, en l’espèce par un décret -les décrets du 24 décembre 2009 n’ayant qu’un contenu financier.
Par ailleurs, les ABF ne sont juridiquement ni consultés ni compétents » pour autorisation » sur les différentes opérations d’aménagement telles que ZAC, lotissements, opérations de restauration immobilière ou expropriations ….ni sur des opérations « analogues » telles que les RHI, les OPAH ou autres ....Ils ne sont consultés et ne donnent leur avis conforme que sur des travaux lesquels font l’objet de diverses procédures en application du code de l’urbanisme et du code du patrimoine (déclaration, permis de construire, de démolir, permis d’aménager, travaux de restauration immobilière) .
Dans les opérations d’aménagement ils ne sont compétents que lorsqu’il y a des travaux portant sur des bâtiments ou des espaces dans les périmètres protégés.
Dès lors, on voit mal quelles sont les autorisations visées pour des opérations, elles-mêmes non définies….On ne peut donc que considérer que cette disposition, qui n’a pas de champ d’application, est inintelligible au sens de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
Faut-il comprendre que les travaux, de démolition, réhabilitation, reconstruction dans une opération non définie, proposée au financement de l’ANAH par un projet d’une collectivité locale, soumis à déclaration, permis de construire ou de démolir échapperaient à l’avis conforme de l’ABF hors des exceptions prévues au 3° et 4° du même article L632-2-1 ? C’est, évidemment, intenable sur le plan juridique, tant vis-à-vis de la clarté nécessaire du champ des opérations, que des droits des propriétaires et des tiers.
Aussi faut-il analyser les dispositions prévues au 3° et au 4 °de ce même article L632-2-1
Celui-ci précise que l’avis de l’ABF n’est plus conforme lorsqu’il concerne : les « mesures prescrites pour les immeubles à usage d’habitation déclarés insalubres à titre irrémédiable en application de l’article L. 1331-28 du code de la santé publique » et celles qui le sont pour les « immeubles à usage d’habitation menaçant ruine ayant fait l’objet d’un arrêté de péril pris en application de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation et assorti d’une ordonnance de démolition ou d’interdiction définitive d’habiter ».
Beaucoup d’inexactitudes ont été écrites en commentaires de ces dispositions dont la portée juridique est limitée, car restreinte aux seuls arrêtés de péril ou d’insalubrité qualifiés d’irrémédiables, c’est à dire lorsque le cout des travaux de réparation – qui peuvent seuls être prescrits par une autorité administrative- est supérieur à celui de la reconstruction du bâtiment considéré.
En cas de péril, cette situation aboutit le plus souvent à une ordonnance de démolition, totale ou partielle.
En insalubrité, la démolition est beaucoup plus rare car la jurisprudence est de plus en plus restrictive pour reconnaitre l’irrémédiabilité et la démolition n’est pas obligatoire.
Ces dispositions ont donc une portée limitée.
Il faut également préciser que si la démolition a été prescrite par un de ces arrêtés, celle-ci est exemptée de permis de démolir, en application du code de l’urbanisme, ce qui fait que l’ABF n’en a pas même connaissance …..
En revanche et si la démolition totale n’a pas été ordonnée, rien n’empêche, évidemment, le propriétaire de réhabiliter son immeuble, ce qu’en droit de la propriété il a toute liberté de faire. Dans ce cas, on ne voit pas pourquoi les travaux, s’ils sont soumis à déclaration ou à permis selon leur nature, échapperaient au droit commun des autorisations en secteur protégé …. alors même que les propriétaires de bâtiments insalubres ou en péril tenus par arrêté à effectuer des travaux de réparation sont, eux, soumis à l’avis conforme de l’ABF.
Il y a là une inégalité de traitement des propriétaires confrontés à des situations similaires qui n’est pas justifiée et qui pourrait être censurée par le Conseil Constitutionnel.
Il résulte de ces analyses que toutes les situations de péril et d’insalubrité ne sont nullement touchées par ces dernières dispositions, contrairement à ce que l’on peut lire.
Si seuls les cas de démolition sont, en pratique, visés, la démolition étant exemptée de permis de démolir, l’ABF n’en a guère à connaitre, que ce soit par un avis simple ou conforme.
Cependant, on rappelle que le projet d’arrêté de péril ou d’insalubrité, lequel prescrit des travaux – dont l’éventuelle démolition en cas d’irrémédiabilité – doit lui être soumis, c’est-à-dire a la phase « amont » des travaux que doit ensuite réaliser le propriétaire …
Quant à son avis éventuel, inexistant et applicables aux « autres opérations » il s’agit là d’un ensemble vide ….