Alors que la France est en plein Grand débat national, un secteur particulièrement important a été oublié : celui du patrimoine et de la culture.
Pour pallier cette absence, le magazine Beaux-Arts et la Fondation du patrimoine ont décidé de lancer, à leur tour, un Grand débat national sur la Culture. Celui-ci a lieu du 18 février au 15 mars prochain.
Tout ceci se fait à travers une plateforme participative, mais aussi lors de réunions publiques au cours desquelles les Français sont appelés à faire part de leurs propositions sur la culture. Le débat est axé sur trois thématiques : la culture pour tous, l’éducation artistique et culturelle et le patrimoine.
Les résultats de cette consultation seront remis au président de la République et au ministre de la Culture au mois d’avril. Le rapport contiendra notamment les dix propositions les plus débattues et les 10 propositions les plus soutenues. Deux réunions seront organisées. L’une se tiendra à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, et l’autre se déroulera au Cent Quatre-Paris.
Concernant le Patrimoine, Victor Hugo, écrivait dans la Guerre aux démolisseurs en 1832 : « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c’est dépasser son droit. ».
Promouvoir et sauvegarder notre patrimoine, c’est faire rayonner notre culture, transmettre les métiers et créer de l’activité économique, notamment dans les secteurs du bâtiment et du tourisme. Cette activité économique se traduit par des emplois dans tous les territoires. Ces emplois non délocalisables maintiennent notamment des familles en zone rurale. Les impacts économiques sont directs par des travaux de restauration et indirects par la mise en tourisme de notre patrimoine. Le tourisme étant un des enjeux majeurs pour la France.
Pour sa part, le G8 patrimoine de Bourgogne-Franche-Comté estime devoir apporter également sa contribution. Il regroupe aussi bien les grandes associations que les plus petites, allant de plusieurs milliers à quelques cotisants. Il représente environ 50 000 adhérents et sympathisants dans notre région à travers les fédérations Patrimoine-Environnement (LUR-FNASSEM) et REMPART ainsi que les associations Demeure Historique, Vieilles Maisons Françaises, Maisons Paysannes de France, la Sauvegarde de l’Art Française et Sites & Monuments (ex-SPPEF). Il est riche de son implantation territoriale car il couvre la quasi-totalité de notre territoire régional. Il est sans doute la « structure » la mieux répartie géographiquement ; elle est la plus engagée dans les actions de promotion et de défense.
Aussi le G8 estime-t-il que sa représentation est significative des besoins et attentes qui actuellement interpellent notre pays.
Quels constats faisons-nous ?
Par manque de perception, de sensibilisation des diverses couches sociales, on a souvent véhiculé implicitement l’idée que le patrimoine, c’est le passé et donc vieillot…. C’est pour les vieux, ou bien c’est prestigieux et c’est pour les riches. Ces deux visions sont bien évidemment particulièrement erronées et manichéennes.
Le patrimoine appartient à tous, et il nous a tous modelés. Patrimoine de proximité, barres HLM, quartiers élégants, monde rural, patrimoine industriel, … patrimoine musical, artistique. Il représente ainsi tout ce qui est notre environnement familial ou non ; il fait partie de ce qui nous façonne sans que nous en ayons forcément conscience.
Mais regardons vers l’avenir: Nous savons tous que pour bâtir demain, il faut avoir des racines bien ancrées, sous peine de construire sur du sable, voire du vide : ce trou d’air, pas vraiment exprimé dans le passé mais que nous vivons depuis longtemps, ne se révèle bruyamment que depuis quelques mois. La réponse n’est pas aisée : nous sommes confrontés aux aspects concernant le contenu, mais aussi le contenant. Il faut construire, mais il faut aussi des constructeurs.
Nous ne pouvons mettre en valeur le patrimoine sans donner sa pleine place à ceux qui le portent ou qui le transmettent.
Il est clair que ce qui « accroche » le mieux (et ce fut ainsi de tout temps), c’est ce qui est porté par les nouvelles classes d’âge. Ce qui était novateur a toujours été promu par les jeunes : c’est la grande richesse de notre humanité de toujours aller plus loin dans la course à l’innovation. Jusqu’à ces derniers temps, cette course en avant était assise sur des valeurs transmises par une cohésion familiale, par un liant social de proximité, issus de la rencontre du quotidien, qui valorisait ainsi un passé dont nous avons tous besoin pour établir « notre camp de base ». Il y avait donc continuité dans la discontinuité. Or, cette transmission intrinsèque, au fil de l’eau, tend à disparaître par suite notamment des nouveaux modes de vie avec des éclatements familiaux et géographiques. Le vecteur associatif est l’une des réponses possibles pour peu qu’il puisse s’engager et que ses actions soient reconnues et aidées à leur juste niveau : ce n’est pas toujours le cas. Aujourd’hui les freins sont nombreux, et nombre d’associations doivent en permanence faire un véritable parcours du combattant pour développer leurs activités : il y a là une considérable perte d’énergie et de compétences. Il s’avère que la reconnaissance et la valorisation de leurs actions par les responsables publics posent problème.
De fait, la place accordée aux associations est toujours très limitée dans les sphères institutionnelles régionales ou de proximité. L’application de la loi LCAP n’a que peu fait appel aux associations locales pour participer aux assemblées prévues. Et, quand c’est le cas, c’est souvent pour être présentes « pour avis ». Leur impact est donc incertain alors que l’énergie individuelle et collective déployée et leur « professionnalisme » est avéré notamment lors des JPPM et des JEP par exemple. Elles sont la plupart du temps encadrées par des personnes ayant ou ayant eu des responsabilités d’excellent niveau dans le monde économique, culturel, social ou technique en France ou dans le monde (cadres dirigeants, responsables nationaux, responsables juridiques, commerciaux, internationaux, universitaires et chercheurs au CNRS en activité ou honoraires,…).
On constate donc aujourd’hui que la place faite aux associations n’est pas en rapport avec leurs capacités et leurs compétences. Il y a un réel déficit de représentativité et de reconnaissance qui se traduit, là aussi, par un sentiment de ne pas être considérées pour ne pas dire davantage, d’être des oubliées de ce monde qui s’écrit.
On tangente, ici aussi, le sentiment fortement exprimé aujourd’hui, de n’être pas entendues quand bien même participeraient-elles à certaine instance « pour avis ». Ne pas reconnaître les bonnes compétences, s’exprimeraient-elles au travers des associations, devient maintenant non seulement une erreur économique, mais se double d’une erreur sociétale.
Ainsi, bien qu’étant par nature des structures portant l’intérêt général au titre de leurs activités, elles vivent leur existence et réalisent leurs actions comme étant tolérées, parfois accompagnées, par les diverses formes de puissance publique. C’est bien évidement insuffisant pour introduire à la fois le lien social qu’elles pourraient mieux développer, mais aussi les évolutions qu’il sera nécessaire d’engager pour exister dans le monde de demain. Elles devraient être complémentaires au CESER car se positionnant sur un terrain plus opérationnel.
Quelles évolutions nécessaires à un repositionnement social ?
Un petit rappel: La préservation du patrimoine constitue un défi essentiel. Le patrimoine culturel français est plus vaste que les seuls monuments classés et protégés : patrimoine rural, avec, au premier chef, les maisons traditionnelles qui en disent long sur l’ingéniosité de leurs bâtisseurs, sur leurs compétences en matière de gestion des ressources, compétences acquises au fil des générations. Mais aussi les moulins, les fontaines ou les phares. Puis le patrimoine urbain, patrimoine religieux, constitué par les églises et chapelles des villages et les œuvres qu’elles renferment, patrimoine artisanal ou encore patrimoine industriel, avec d’anciennes usines emblématiques et d’innombrables installations hydrauliques aux usages les plus variés.
Pour être efficace et comprise, la gestion du patrimoine, sa valorisation, qu’il soit protégé ou non-protégé, doit se combiner avec d’autres objectifs, notamment de protection de l’environnement (énergies renouvelables, rénovation thermique, biodiversité), d’aménagement du territoire, d’accessibilité, et les usages des bâtiments continuer d’évoluer comme ils l’ont toujours fait au cours de siècles. Elle est aussi à mettre en relation avec la richesse sociétale qu’il représente, ces deux aspects étant interdépendants.
Ce qui est constaté dans le domaine de la conservation l’est aussi quand, en appui sur le patrimoine, il s’agit de réaliser des activités qui touchent à sa connaissance, à sa participation au développement économique ou humain -ou plus encore scolaire- et cela malgré toutes les belles annonces faites par les pouvoirs publics. Atteindre les objectifs de participation du patrimoine comme favorisant nos actions sociétales est aujourd’hui complexe et demande de la ténacité bien au-delà de la normalité. Aussi, nombre de projets d’intérêt général sont, soit abandonnés, soit édulcorés, conduisant à un résultat très relatif.
Certains propriétaires publics ou privés rencontrent des difficultés à mener à bien leurs projets de restauration, sur le plan technique, administratif ou financier, faute de capacités de financement et de disposer des compétences nécessaires. Le montage d’un plan de financement impose notamment de réunir un tour de table avec différents financements publics et privés, nécessitant une forte ingénierie administrative.
De plus en plus d’associations s’engagent dans un développement éducatif, artistique et culturel en milieu scolaire en devant faire l’avance des dépenses sans être nécessairement assurées d’être remboursées par l’Etat même après accord de celui-ci sur le niveau de dépenses. Quel confiance alors accorder aux services de cet Etat qui ne sait pas tenir ses engagements? Pourtant nos concitoyens sont terriblement attachés à ce patrimoine. Le succès des Journées Européennes du Patrimoine (environ 12 millions de visites par an), des Journées du Patrimoine de Pays et des Moulins (environ 120 000 visites) et plus récemment celui des jeux Mission Patrimoine, qui ont permis de récolter plus de 20 millions d’euros en mobilisant près de 4 millions de joueurs, témoignent de l’attachement de la population à notre héritage.
Prenons conscience que nos associations ont une place irremplaçable. Leurs projets permettent de s’engager ensemble, chaque participant à son niveau, avec ses spécificités, son charisme, ses disponibilités, son âge et son histoire. C’est un travail qui accueille chacun avec bienveillance dans une action collective, source d’épanouissement et de lien social. Il est partagé par des bénévoles de tous horizons et permet de prendre du temps pour regarder, échanger, comprendre, se former, se construire. Il affirme une vision à long terme, non soumise à une logique de consommation. Il organise l’accès de tous à la participation, à l’engagement et à la prise de responsabilités. C’est un projet culturel global qui s’ancre d’une manière pérenne sur un patrimoine localisé et choisi ensemble. Il place le citoyen comme responsable de notre patrimoine commun et comme son passeur vers les générations à venir. Il fait du patrimoine un support et le vecteur pertinent pour l’apprentissage, l’éducation et la formation. Il invite à une réflexion complexe sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux. C’est un projet à taille humaine qui résulte de la volonté de citoyens organisés, soucieux de leur patrimoine et engagés collectivement pour sa sauvegarde. Il s’inscrit et est acteur dans une dynamique de partenariats et de réseaux. Il contribue à l’élaboration des politiques publiques; il est porteur de l’intérêt général. A ce titre, il revendique le soutien sans faille de la puissance publique. Il associe, dans le territoire où il s’inscrit, des partenaires privés ou de l’économie sociale et solidaire.
Un projet patrimonial, c’est surtout un idéal qui se concrétise dès lors que les individus s’unissent et agissent ensemble autour d’un projet sur le patrimoine, pour une société plus juste, plus fraternelle et plus solidaire
Alors pour le réaliser, il devient urgent de donner aux associations une responsabilité à hauteur de leur implication réelle dans le tissu social. Cela passe par une place plus importante dans la prise de décision et l’action, mais aussi par un nouveau regard des responsables économiques, politiques, publics, des services de l’Etat, nationaux ou déconcentrés, des préfets et des élus en général sur l’intégration effective des associations, notamment celles du patrimoine et de la culture.
On ne peut plus se contenter de l’orientation de tel ou tel responsable politique ou expert local ou régional qui mettra en valeur les arts vivants en marginalisant le patrimoine ou bien l’inverse. Il devient urgent d’avoir une véritable reconnaissance qui place les associations représentatives dans une vision de co-décision dans les domaines où elles sont pertinentes et selon un processus et un degré à déterminer selon le domaine concerné. Dans certains cas, cela doit pouvoir aller jusqu’au réexamen de la décision afin de lui apporter toute la cohérence en regard de l’intérêt public également porté par les associations.
Dans d’autres cas, il ne devrait y avoir de prise de décision qu’après l’expression à la majorité qualifiée dans une configuration où les associations seraient à la même hauteur que les autres parties prenantes.
Ces propositions sont bien évidement à travailler avec les partenaires publics et réglementaires afin d’aboutir à une vision mettant au bon niveau les responsabilités de chacun. Remarquons qu’elles sont pleinement assumées par nombre d’associations. On ne peut penser qu’une association qui, sur plusieurs années, remet en chantier le sauvetage d’un monument historique n’ait pas conscience de sa responsabilité envers la société ou l’Etat. Il faut donc trouver les espaces de compétences qui autoriseront une responsabilité reconnue et affirmée et feront des associations des partenaires à l’équilibre
Pour être capables de répondre aux défis qui nous attendent ( et aux évolutions qui ne nous attendent pas) il faut être en mesure de co-porter, dans le respect de la forme démocratique actuelle de notre société, les décisions, les orientations et les réalisations, en cohérence avec tout ce qui pourrait être conforme à l’intérêt général local ou du pays.
On ne fera pas de réelle démocratie participative sans une implication réelle et constatée des associations aux prises de décisions. L’essentiel n’est plus de participer : c’est d’être porteur, ensemble, des décisions et on ne peut l’être qu’en étant impliqué dans son élaboration non plus sous la simple forme du « pour avis ».
Il importe de repositionner les missions des associations représentatives.
Leur donner leur véritable place dans notre société,
c’est lutter contre l’individualisme et l’égoïsme qui la minent
Le G8 Patrimoine de Bourgogne-Franche-Comté s’associera à toute réflexion qui pourra être conduite, dans un esprit constructif, qui amènerait des évolutions significatives et assurerait une participation plus responsable de nos associations au développement de nos territoires.