Après que la loi « Évolution du logement et aménagement numérique » ait été promulguée, nous avions écrit ici qu’à notre sens et à première lecture, les dispositions du fameux article 56 de ce texte qui traite de l’avis conforme des Architectes des bâtiments de France, seraient probablement inapplicables.
Notre point de vue s’est affiné en particulier à la lecture d’une note rédigée par l’experte la plus reconnue sur la question des quartiers dégradés des Centres anciens : Nancy Bouché, inspectrice générale honoraire de l’Équipement. Nous publions son texte ci-après.
Sans répéter ce que Madame Bouché a fort bien écrit et à l’usage des lecteurs peu familiarisés avec la chose juridique, disons que la réforme véhiculée par cet article commandité par une partie des élus locaux soucieux de reprendre la main dans les décisions d’urbanisme sans contrainte comprend deux parties :
-
D’une part, la transformation de l’avis conforme en avis simple lorsqu’il y a lieu de démolir des immeubles « indignes, insalubres ou en état de péril ». Une lecture attentive du nouveau texte permet d’affirmer que l’éléphant que les sénateurs avaient voulu introduire dans le magasin de porcelaine des centres anciens accouche d’une souris ;
-
D’autre part, la répartition des pouvoirs dévolus respectivement aux collectivités locales et aux ABF dans les Sites Patrimoniaux remarquables, en l’état du texte est extrêmement dangereuse et appelé d’urgence un décret d’éclaircissement.
Vous avez dit « insalubre »
Pour vous donner envie de lire l’article de Nancy Bouché, résumons d’abord la première problématique :
L’avis conforme est remplacé par l’avis simple dans trois séries de cas : « Un quartier dégradé peut être une zone d’opérations déterminées par l’article L522-1 du code de la construction et de l’habitation. » Mais nul ne sait aujourd’hui s’il existe un texte qui définit ce type d’opération, les dispositions législatives sont afférentes à des décisions de financement. Par ailleurs les ABF n’ont jamais eu à être consultés sur la création des zones type ZAC, RHI, OPAH… L’éléphant a donc voulu renverser un avis conforme qui n’existe pas ou dont le champ d’application n’est pas défini.
Dans un quartier dégradé il peut aussi exister des immeubles à usage d’habitation « déclarés insalubres à titre irrémédiable ». Cette catégorie est déterminée par l’article L1331-28 du code de la santé publique. Pour qualifier ainsi un immeuble il faut que le coût des travaux de réparation soit supérieur à celui de la reconstruction. C’est l’autorité administrative qui fixe ce coût. Madame Bouché souligne que l’évolution de la jurisprudence « est de plus en plus restrictive pour reconnaitre l’irrémédiable et ne rend pas la démolition obligatoire en ce cas ».
Enfin en vertu de l’article L511-2 du code de la construction et de l’habitation lorsqu’un immeuble menace ruine, le maire peut prendre un arrêté de péril. Si tel est le cas la suite logique est la prise d’une ordonnance de démolition assortie d’une interdiction définitive d’habiter, laquelle dispense cette autorité de demander un permis de démolir. L’ABF n’a donc pas à intervenir et n’en a même pas connaissance.
Dans les deux cas précités, s’il y a reconstruction partielle ou totale, les travaux sont alors soumis a permis de construire ou à déclaration de travaux, soumis dans un SPR à l’avis conforme même lorsque le maire prescrit ces travaux dans son ordonnance !
Résumons : des opérations pour lesquelles l’avis de l’ABF n’était pas requis et des ordonnances constatant l’irrémédiable très restrictivement surveillées par la jurisprudence des démolitions exemptées de permis de démolir depuis toujours et donc d’avis de l’ABF.
Pas sûr que les sénateurs aient été bien informés pour voter ce texte dont une partie est inintelligible…
Dans les Sites Patrimoniaux Remarquables : un avis » consultatif » : une tautologie.
Nancy Bouché pointe sur cette question un danger beaucoup plus important. Les sénateurs avaient voulu une sorte de rééquilibrage entre le maire (cf. l’autorité administrative compétente pour délivrer un permis) et l’ABF.
Saisi d’une demande de permis, ou de déclaration de travaux le maire a, selon la loi Élan deux solutions :
- il soumet le dossier à l’ABF qui doit donner un avis conforme.
- il propose un projet de décision à l’ABF. Celui -ci émet alors un « avis consultatif » sic ! et peut proposer des modifications.
Le danger est très important : si le maire dispose des services adéquats et qu’il n’a pas d’empathie particulière pour l’ABF, il fera préparer systématiquement des « projets de décisions », l’avis conforme aura donc totalement disparu dans le site patrimonial remarquable de cette collectivité.
Pourra-t-on résister à ces projets de décision assortis d’un avis « consultatif » ?
Au contraire de la possibilité de recours contre l’avis conforme devant le préfet qui doit saisir la commission régionale, aucune possibilité de recours n’est prévue par le texte s’agissant des décisions préparées assorties d’un avis simple. En effet les sénateurs n’ont pas prévu de coordination entre cette nouveauté et les paragraphes traitant des recours.
Que peut faire le ministre de la culture : dans son décret d’application il pourrait :
- déterminer de la manière la plus restrictive possible le cas de « préparation d’un projet ».
- considérer que le texte doit se lire en ce sens que les recours contre les décisions assorties d’avis simples ou d’avis conformes sont les mêmes.
La solution est loin d’être l’idéal mais… !
Alain de la Bretesche,
Président de Patrimoine-Environnement